Carton bleu | L’indispensable modernisation du travail (pourquoi les jeunes en sont demandeurs)

Cette opinion de Mathieu BIHET a été publiée le 2 juin 2016 sur le site du Vif/L’Express

 

« Il n’existe rien de constant, si ce n’est le changement » affirmait Siddhartha Gautama dit « le Bouddha » qui, face à l’évolution du monde, préférait la sagesse de l’acceptation plutôt que le déni de réalité. Malgré les millénaires qui nous séparent de « l’Éveillé », ces propos continuent de faire écho à notre actualité. Une fois de plus, notre société est confrontée à d’importants bouleversements et la Révolution Numérique – que certains minimisent – entraîne d’autres révolutions économiques, sociales, culturelles voire même générationnelles. Le monde du Travail n’échappe pas à la règle : non seulement parce que sa structure en est profondément modifiée mais aussi parce que l’on assiste à un véritable changement des mentalités qui le composent.

Au fil de notre Histoire, faite de virages plus abrupts les uns que les autres, se sont toujours opposés les partisans du progrès et les défenseurs de l’immobilisme ; les pragmatiques et les conservateurs. Bien naïf sera celui qui tentera de coller une étiquette politique sur un des deux camps tant le contexte et la nature des rapports de force empêchent toute généralité. Pour preuve : ceux qui, dans le passé, battaient le pavé pour exiger de nouveaux acquis sociaux manifestent aujourd’hui pour empêcher toute avancée ou modernisation. Rien n’est constant, disions-nous…

Pourtant, à bien y regarder, force est de constater que la majorité de la population aspire à une réforme du monde du Travail, principalement les générations sur le point d’y entrer. Ces générations Y et Z ne se retrouvent ni dans ce modèle du XIXe siècle, complètement suranné, ni dans ses codes stricts qui, certes, apportent une sécurité relative mais sont perçus, avant tout, comme des entraves à la liberté. On ne peut que se réjouir de la création d’emplois sous le Gouvernement Michel : près de 65.000 depuis octobre 2014 dont plus de la moitié se trouve dans le secteur privé selon l’ICN. Mais cela ne suffira pas à répondre aux enjeux de demain. Voilà pourquoi une modernisation du Travail est inévitable, voire indispensable.

 

Plus libres car plus flexibles 

Ces générations sont nées avec Internet ; ont grandi avec les réseaux sociaux ; se sont forgées sur un esprit « start-up » incarné par Mark Zuckerberg, Steve Jobs et autres dont ils ont vu les biopics au cinéma. Ils débordent d’idées et de créativité. Malheureusement, ce surplus d’énergie se heurte bien souvent à la rigidité du monde du Travail. Les débats actuels sur le temps de travail en sont la parfaite illustration tant ils sont en total décalage avec la volonté des futurs travailleurs. 32h, 35h, 38h ne cachent qu’une seule réalité : l’imposition d’une durée de temps de travail immuable. Or, les nouvelles générations préfèrent un horaire qui se calque sur leurs objectifs professionnels et leur vie privée. Ils veulent pouvoir arranger leur temps de travail comme ils l’entendent. Ils veulent qu’on leur dise « peu importe, tant que tu respectes les échéances ». Ils sont déjà dans un modèle « 42 » – du nom de l’école d’informatique de Xavier Niel à Paris – que les anciennes générations ont du mal à appréhender. Cela signifie-t-il qu’ils sont prêts à sauter dans le vide sans filet de sécurité ? Bien évidemment que non. Mais ils espèrent un cadre plus souple qui ne réduit pas les heures prestées à la semaine mais plutôt à l’année, en adéquation avec leurs grands projets et non leurs petites tâches quotidiennes.

 

Cette envie de bouger 

Les jeunes ont la bougeotte. Ils sont à la fois hyperconnectés et hyperkinétiques. Ils swipe plus vite que leurs parents ne zappaient et cela se ressent dans leurs projections du parcours professionnel idéal. Ainsi, il est nécessaire de créer une meilleure mobilité entre les différents types d’emplois, voire de carrières. Cette facilité de mouvement ne peut être opérée que par la transformation durable de plusieurs systèmes directement liés aux travailleurs, que ce soit le système de pension légal, les statuts ou encore l’accès à l’activité complémentaire. Même le contrat de travail représente l’exemple parfait de deux visions pratiquement inconciliables entre le CDI très sécurisant mais d’une certaine façon contraignant et le CDD qui autorise plus de liberté dans l’emploi sans apporter un minimum de stabilité. Fondamentalement, aucun des deux systèmes ne convient parfaitement à ces nouvelles générations. L’avenir nous demandera de changer de paradigmes, de trouver des compromis hybrides capables de répondre à leurs attentes ; de répondre à leur haute estime de la valeur du travail qui doit rester un facteur d’émancipation et non l’inverse.

 

Moins de hiérarchie, plus de collaboratif 

« La jeunesse est fougueuse ». Cette phrase, je l’ai entendue à maintes reprises. C’est vrai que les jeunes se reconnaissent par leur ardeur, ces générations-ci peut-être encore plus que d’autres. Cela se perçoit dans leur rejet de l’autorité et des conventions. Selon plusieurs études outre-Atlantique, ils sont environ 60% à souhaiter monter leur propre entreprise plutôt qu’être salarié. Si elle n’est pas assez exploitée tout au long de la scolarité, la fibre entrepreneuriale des jeunes est bien présente, tout comme leur désir d’indépendance. Cette tendance s’exprime déjà sur les lieux de travail – qui prennent de plus en plus des airs d’espaces de coworking – où le tutoiement est de mise, le smart casual est légion et où le dialogue ne demande pas d’intermédiaire. Cette souplesse culturelle dans le monde du Travail devra inévitablement s’exprimer dans les lois qui le régissent. Cette ouverture engendre inévitablement la collaboration. Et l’économie collaborative, malgré l’opposition farouche de certains envers ses précurseurs tels qu’Uber ou Airbnb, est vouée à s’étendre jusqu’à 572 milliards d’euros selon une étude de la Commission européenne. Là aussi, il sera question de s’adapter à cette nouveauté, en proposant un cadre légal plutôt qu’une interdiction aveugle ; en proposant un moyen d’exploiter au mieux le phénomène qui peut être aussi un vecteur d’intégration sociale[1].

 

Trop de fois j’ai entendu une infime partie de la jeunesse monter au front pour réciter de tête les argumentaires de leurs partis ou de leurs syndicats. J’en admirerais presque leur ténacité et leur abnégation à défendre les intérêts de leurs ainés plutôt que ceux de leur génération. À croire que certaines protestations actuelles ont pour but de protéger le passé de l’avenir alors qu’il faudrait faire l’inverse. La Belgique n’a que très peu de temps pour s’adapter, faute de préparation suffisante les années qui nous ont précédés. Rater un virage et c’est la catastrophe sociale. La Wallonie en a déjà fait les frais dans le passé. Mais aller de l’avant demande inévitablement de la sagesse. La sagesse de l’acceptation plutôt que le déni de réalité.

 


 

[1] Voir l’article « En banlieue, « l’ubérisation » au secours de l’intégration »de Maryline Baumard, dans Le Monde (18 mai 2016)

 

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